Incroyable comment une simple petite supérette qui crame au coin d’une rue peut rameuter autant de monde. Pendant une semaine, Ludlow n’avait entendu parler que de ça :
D’abord la voisine “Oh m’sieur Moore vous avez vu ce qui est arrivé à la supérette au bout de la rue ? Non ? C’est terrible ! Heureusement qu’il n’y a pas eu de blessé !” - Ludlow n’aimait pas sa voisine alors il ne lui avait pas répondu plus qu’un hochement de tête désintéressé.
Ensuite monsieur Zagaretti, le patron du restaurant italien où il bossait, avec sa façon de rouler les r beaucoup trop prononcée : “Ludo ! Tu vas bien j’espère ? J’ai vu ce qui est arrivé à la supérette prêt de chez toi et j’ai eu peur que tu sois blessé !” - Ludlow avait souri doucement - parce qu’il aimait bien quand monsieur Zagaretti le surnommait Ludo avec son fort accent italien - et puis avait secoué la tête en disant que tout allait bien avant d’aller servir la flambé à la table trois.
Ensuite le quotidien de la ville et son gros titre en première page : “UN PYROMANE MET LE FEU A LA SUPERETTE DE L’EST DE DORTAMM. Pas de blessé mais des dégâts importants. Les caméras de surveillance sont hors d’usage, on ne sait rien du criminel qui a commis cet acte mais des rumeurs commencent à monter, il s’agirait de BLAST, un défiguré par les flammes d’après le portrait robot de la police, créé grâce aux témoins.” - Ludlow avait lu l’article, hoché la tête, lu les autres articles, et jeté le journal au recyclage.
Blast hein ? Ludlow se dit que le type n’avait vraiment rien d’autre à faire de sa vie pour vouloir cramer des supérettes de quartier. Franchement, il y avait plein d’autres trucs chouettes à brûler dans cette ville -la mairie, le musée d’art moderne, le cinéma de la neuvième avenue qui avait refusé de lui vendre une entrée pour Conjuring quand il avait douze ans.
Ludlow se dit qu’il avait aussi eu de la chance de ne pas avoir été là quand ça s’est produit. Après tout, il avait fait ses courses là-bas exactement le soir où la supérette avait cramé, il s’en souvenait justement parce que la caissière l’avait pas mal énervé avec ses commentaires sur ses courses - soit disant que ce n’était pas très équilibré pour un jeune homme comme lui ; faut dire qu’elles contenaient essentiellement du lait et des céréales, aka sa nourriture favorite vu qu’il ne déjeunait pas le midi et que le soir il récupérait les restes du restaurant de monsieur Zagaretti. Elle n’avait pas fermé son clapet une seconde, et quand elle lui avait rendu la monnaie, Ludlow avait bien cru voir ses doigts s’enflammer, mais il s’était retenu.
Enfin c’est ce dont il se souvenait.
Il n’était plus trop sûr d’avoir éteint la petite flamme qu’il avait produit dans le rayon des huiles cela dit.
Enfin bref. Ludlow avait continué à vivre normalement, lui.Il ne s’inquiétait pas trop - pourquoi aurait-il dû ? Et il travaillait comme d’habitude, la routine. L’évènement de la supérette avait était en page du journal quelques jours et puis les médias avaient trouvé autre chose. Les travaux de restauration avaient déjà commencé - quelle mairie efficace, il ne fallait peut-être pas la cramer finalement.
C’est encore quelques jours après qu’un étrange évènement survint, alors qu’il terminait son service du samedi soir dans La Boîte.
Ludlow revenait de sa pause clope - pendant laquelle Fly n’était pour une fois pas venu lui taxer la marchandise hallelujah. Il terminait son service une demi-heure plus tard mais il prenait quand même sa pause de 3:30, c’était systématique et nécessaire. En retournant derrière le comptoir du bar, il ne prit pas garde aux clients, même pas à ceux qui le dévisageaient - il avait l’habitude. Son collègue lui indiqua la commande de la fille aux yeux rouges du bout du comptoir et après lui avoir préparé son verre, Ludlow le lui tendit avec un sourire totalement factice de ceux qu’il faisait uniquement en service - avant il ne souriait pas mais son patron lui avait dit que “déjà que t’as une sale gueule Moore tu pourrais au moins faire un effort sur ton amabilité avec les clients”.
Il fut cependant réellement surpris de l’entendre l’interpeller.
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Bonsoir, répondit-il,
on se connait ?Il prit la commande de la personne assise à côté de la jeune femme non sans la quitter du regard pour autant. Qui est-ce que c’était que cette fille encore. Une ex ? Il l’aurait reconnu quand même, au moins à cause de ses yeux. Une ancienne camarade de classe ? Il ne voyait vraiment pas ce que pouvait bien foutre les filles du Massachusetts ici. Non, Ludlow avait beau chercher dans sa petite mémoire, il ne connaissait pas cette nana. Mais comme cela restait une cliente, il se devait d’être poli - il avait nettement progressé à ce niveau là depuis la première fois.
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Excusez-moi, mais votre tête ne me revient pas du tout. Vous me cherchiez pour quelque chose ?© SWIRLY