le complexe de darwin / zep

C’est beaucoup trop de sensations à digérer d’un coup, beaucoup trop. Sa bouche, son bassin, sa chaleur, cette tension à peine relâchée, à peine saluée. Un moment, un court moment, tu demeures immobile, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte. Tu voulais plus, tu as eu plus - et tu veux plus encore.

Qu’il se soit aussi rapidement écarté te frustre au point qu’une forme curieuse de colère érige tes lèvres. L’égérie d’un sourire diabolique, empâté d’envie et d’une lubricité dont tu découvres à peine la saveur.

Ton bas-ventre te brûle. Tes veines aboient.

Si ta lucidité ne t’avait pas déserté, George, jamais tu n’aurais admis pouvoir désirer un homme. Jamais tu n’aurais admis pouvoir le désirer, lui. Est-ce que tu veux que je te touche ? Tu demandes, ne le quittant pas du regard avant de lui offrir le carnet.

Suite à quoi tu reprends tes aises sur le canapé, non sans avoir d’abord attraper un de ses poignets pour mieux le tirer à toi. Tu ris, charmeur - expirant la fumée d’une énième cigarette. À nouveau, vous êtes assis côte à côte, à la différence de cette distance qui vous ronge.

Tu es à un bout, lui à l’autre et cet écart n’est pas naturel - il ne te plaît pas, oh non, mais il est calculé, il est millimétré. Est-ce qu’il crève de la même faim qui t’anime, est-ce qu’il osera céder ou est-ce qu’il prendra la fuite ?

Tu es patient George, même en cet état d’euphorie et d’ivresse, tu es patient et prédateur.

Tu domines.

QUELQUES HEURES PLUS TARD.

musique - Cool, ça y’est, demain est là.

Tu ouvres d’abord l’oeil gauche, remarquant ainsi que ton oeil droit est mangé par une épaule. Tu soupires. Qui a oublié de changer les draps, cela ne peut pas convenir d’être bordé par une épau- QU’EST-CE QUE QUOI ? Ah oui, oui, c’est bien une épaule qui dévore la moitié de ton visage, non pas des draps - une épaule, elle-même rattachée à une tête, elle-même rattachée à un corps, lui-même rattaché à ton corps…

Zep. Zack. Zackaria.

Ah, ok. Ce n’est donc pas un inconnu - voilà qui déjà te soulage un tantinet. Non, non, ce n’est pas un inconnu qui a décidé de venir te recouvrir de sa nudité, estimant que la couette ne te tiendrait pas assez chaud. Quel bel acte de dévouement. Non. QUOI ? MAIS. NON ! C’EST PIRE !

Tu roules violemment sur le côté, tombant avec fracas - aussitôt tu geins, tu couines, tu râles. Ce n’est cependant pas le contact du mur contre ton crâne qui le martèle si violemment de douleur - non, non, c’est une migraine, c’est une putain de migraine. Ok, réfléchis George, faut que t’aies les idées claires. Réfléchis !

Vous avez dîné, vous avez été pourchassés par des Drag Queens et un viking horriblement laid, vous avez sauté dans le fleuve - non c’était avant ? - après ? - vous êtes ensuite retournés sur ton yacht, vous avez bu et vous avez… Vous… Vous avez… Vous… Vous… Vous… Je crois que ton cerveau vient de s’enrayer. Je ne crois pas, j’affirme.

Tu paniques totalement, jouant les ventouses contre la moquette, tâtant du bout des doigts ton entre-jambe - c'est du sp... c'est du spe... QUOI ? QUOI ? QUOI ? - ton torse, les sillons de… Griffures ? PARDON ? Non. Ce n’est rien George, en tombant dans le fleuve, tu as du t’empêtrer dans des buissons de ronces et te faire violer par des poissons au niveau de ton intimité.

Cela n’existe pas les buissons de ronces aquatiques et les poissons qui violent les intimités.

Ce sont très certainement les Drags Queens qui t’ont trop tripoté - faute des buissons de ronces aquatiques et de poissons violeurs. Ou pire, c’est peut-être un homosexuel non travesti qui vous a suivit jusqu’ici, vous a saoulé, et a abusé de vous pour les besoins d'un film érotique sauvage ?

Non, vous les avez fuit très tôt.
Vous étiez seuls. Personne ne vous a suivit.

Réfléchis.
Non.
Ou ?
Si.
Non.

OU ALORS.
OH MAIS OUI ! MAIS BIEN SÛR !
C’EST ZEP !
IL T’A DROGUÉ, IL T’A PROSTITUÉ ! C’EST ÇA ! TOUT S’ÉCLAIRE !

Tu te relèves dans un élan de rage, t’apprêtes à hurler et - et ? - et tu remarques… Son fessier. Son fessier rouge, qui, sur la partie droite - fesse droite donc - offre le contour d’une main. Une main a claqué ce fessier rouge, la fesse droite de ce fessier rouge.

Vous avez tous les deux été prostitués et laissés pour compte ?

…

Il arrive dans la vie d’un homme, parfois, que la vérité soit si dure à accepter, qu’il préfère… Chanter.

Oui, chanter.

Tu chantes, non, tu chantonnes. LALALALALA. LALALALA. LAAAA. LALA. Tu chantonnes mal, tu chantonnes fort et tu chantonnes en jouant de nouveau les ventouses au mur. Tu chantonnes parce que tu sais que tu as compris que tu sais que vous avez fait ce que tu sais ce que vous avez fait mais dont tu ne te souviens pas parce que tu as trop bu et que tu as du mal à y croire et que tu cesseras d’y croire même si tu sais ce que vous avez fait.

Je ne le formulerais pas, sinon, tu nous claques dans les doigts. Je ne dirais pas que vous avez couch- ARRÊTE DE TE RONGER LES ONGLES ! Je me tais, je me tais. Ce serait idiot de mourrir d’un infarctus en si bas âge. Oui George, t’as toujours les traits d’un type de vingt-cinq ans - sans compter que, George, tu clignotes comme un gyrophare.

Aaaah, c’est beau l’embarras, la confusion…

NOUS AVONS ÉTÉ CAMBRIOLÉS ! Superbe échappée en avant, tandis que, pour regagner pudeur et contenance, tu t’enveloppes dans un… Dans le tapis ? Certes, le cambriolage, ce n’est pas fameux - mais… Ça fera l’affaire. Tout fera l’affaire, n’importe quelle excuse fera l’affaire tant que la vraie affaire ne sera : ni suggérée, ni amenée, ni repensée, ni remémorée, ni parlée.

TANT QU’ELLE DISPARAÎTRA DANS LES LIMBES DU NÉANT DE L’UNIVERS.

Et plus tu regardes Zep - toujours nu, bordel pourquoi est-il nu, tu le sais, mais non mais ne te poses pas la question alors - il est bien fichu, il est musclé tout de même, plus que toi - c’est inadmissible - arrête George ! - plus tu le regardes, plus tu clignotes et plus tu crèves d’envie de disparaître parmi l’invisible, de devenir un atome - voilà, un atome invisible.

musique - SEIGNEUR MAIS ! VOUS ! AAAAAH ! VOUS ! TU ! C’EST ! - oui George, il vient de manquer de t’attaquer, il t’a insulté, il a joué les divas - ce qui est ton rôle, non mais quel voleur, il a fuit vers le salon - et surtout, George, oui, George, avant de fuir, il a vomit.

Il a vomit.

Sur ton lit aux draps de soie.

Il a vomit.

Qu’est-ce que le vomit si ce n’est le contenu d’un estomac ? Somme toute, c’est un fait qui peut, certes être dégoutant, s’accepter et se tolérer, un fait commun à tout être vivant. Or, en ce qui concerne notre maniaque de la propreté, notre phobique des microbes… Vomir relève du pire des affronts, de l’Everest de la torture.

Ainsi, George, le coeur battant la chamade et les mains moites, non sans d’abord pousser un soupire horrifié, tu t’évanouis. Cet évanouissement est problématique, je ne vous le cache pas - comment poursuivre la suite des évènements sans l’illustre et grandiose personnage principal ?

Comment n’est pas la véritable question - qui, plutôt ? Qui va intervenir ? Adolf. Oui, Adolf.

Notre cher camarade et loyal serviteur, ayant noté le retard de son patron - qui chaque matin s’installe sur le fauteuil arrière gauche de la mercedes de luxe à 7H35 précisément - pénètre actuellement les lieux du drame.

Il est plutôt serein de découvrir non pas un meurtre mais les dégâts d’une nuit de folie - ce qui lui arrache un large et énigmatique sourire. Il se dit sans doute que, enfin après toute ces années, son petit protégé a tombé le masque, a prit du plaisir à vivre, s’est fait un ami, voir peut-être même un amant… Il se dit qu’ils se sont bien trouvés, qu’ils ont du beaucoup se marrer et bavarder…

Ah, Adolf, ce cher Adolf - la bonté même.
La naïveté, aussi, un peu.
Quoique ?

Lorsqu’il tombe nez à nez avec Zack, il hausse un sourcil, croise les bras et se retient de rire - ce qui ne se voit pas, car Adolf, ce cher Adolf, est l’empereur de la discrétion et de la courtoisie. Il devine également, à ses airs ahuris, malades, colériques, nauséeux, stupides - surtout stupides - que cette nuit de folie, Zack ne l’assume pas ni ne s’en souvient. Il devine par conséquent que, du côté de son maître, ce doit être égal si ce n’est pire.

Ah la jeunesse…

Bonjour Monsieur Zackaria. Rude réveil ? Ne vous souciez pas du désordre - sans doute un malheureux incident, peut-être des amis fêtards du Maître sont-ils passés, ce qui arrive de temps en temps. Ils aiment surprendre le Maître, parfois même invitent des danseuses de charmes. C’est qu’il connaît George par coeur, si bien qu’il sait ce que George a dû dire comme bêtise pour s’excuser de son embarras.

Bêtise qu’il rattrape avec bien plus d’intelligence et de finauderie. Ah, Adolf, ce cher Adolf.

C’est vrai ? Ils auraient très bien pu jouer, en groupe d'ivrognes, à des jeux coquins avec des filles, des sextoys et ne se souvenir de rien à cause de la drogue ?

Ah Adolf, rusé Adolf.

M’enfin, rusé et perfide - parce que, Adolf, t’as ce vieux sourire entendu cloué au bec qui dit que tu dis pas trop la vérité mais que tu la dis au mieux, comme le plus vrai des mensonges - parce que c’est trop agréable de savoir George enfin accompagné et que le duo qu’ils viennent tout juste de former, sans le savoir mais tu le sais, parce que tu sais tout, parce que tu es omnipotent, sera foutrement hilarant à observer.

Ah Adolf, vieux salopard.

Veuillez regagner vos appartements. J’y ferais venir un domestique, afin qu’il vous apporte des médicaments. Je m’occupe du reste.

Et il s’éclipse vers la chambre pour ramasser la larve, le foetus crispé, la chochotte encore dans les vapes.