Un petit effort. Un dernier petit effort pour oublier l’ineptie d’un cauchemar gris. Et je sens la veine sur ma tempe serpenter du derrière de mes oreilles jusqu’à mon front. Plus je m’y efforce, plus je sue. Cette acharnement donne à l’eau salée qui roule sur ma peau un semblant de sang, quand ce n’est pas de la cire écarlate.
Je soulève un énième poids, mes joues se gonflent. Quand j’expire, je crache la masse négative qui me lacère et l’estomac et le dos.
Une haltère dans chaque mains. Elles font la taille d’un enfant grassouillet, je serre les dents à m’en fissurer les mailles en les soulevant. Mes canines glissent sur mes lèvres : ce n’est pas se muscler, c’est de la douleur pour de l’autosatisfaction. C’est du masochisme.
Un tantinet soit peu, je me terrifie et jetant les gros poids au sol. Ils s’étalent comme des météorites et l’entièreté de la salle est prise de secousse. Les agents – mes collègues, se retournent d’une stupeur méprisante ; je suis dans la noirceur de mon coin, dégoulinant de haine. Envers moi-même, envers tout le monde.
[…]
Les couloirs, depuis quelques semaines, sont bien plus larges. Habituellement contraint de me plier en quatre pour laisser une marge à quiconque croise mon chemin, mon avancée ne souffrait d’aucune interruption ces jours-ci. On m’évitait… Les regards se faisaient plus perçants, une impression d’être tailladé par les ronces, voilà ce que ça faisait. Et dans cette anxiété, mes insupportables sens de Krärn se décuplent. J’entends les chuchotements désapprobateurs et moqueurs qui fanent sur ces langues de vipères. Mes poumons s’alourdissent… Soudain je les déteste, soudain je me déteste.
En regagnant mon bureau, après avoir bouclé un dossier tassé dans un coin de table, je dégourdis mes bras : signes d’une séance de sport fructueuse. J’aurai eu envie de sentir le manche de mon flingue entre mes doigts, mais nous ne sommes pas Vendredi.
La légère lampe sur mon bureau frappe encore dans la pièce, et c’est en arrangeant mes affaires que la rabâcheuse M. me précipite en mission. La soirée n’est pas terminée… Je regrette cette bière froide qui m’attendait sur la torpeur de mon sofa.
Elle avance, je marche sur son ombre…
[…]
J’échange les frictions des vêtements trop serrés de l’agent M. au regard d’iceberg de Ardan. Il n’a pas volé son nom de code… Blue détaille l’entièreté de mon être, sans doute comme il inspecte non-intrigué tout ce qui croise son chemin, par réflexe.
Je ravale ma salive quand M. nous abandonne sur notre chemin jusqu’au parking. Ce soir, j’aurai de quoi m’occupé en silence. La gêne pesante qui valse au-dessus de nos têtes rappelle un slow morne de fantômes, rien n’est dit, tout est ressenti, et ce ne sont pas de bonnes choses.
Je sais que ce type est dangereux, je sais que je déteste ses faits, que les personnalités de la sorte, bien qu’elles profitent à l’entreprise, entache Notre insigne.
Je sais qu’il est plus proche que moi de devenir inspecteur…
Qu’il est meilleur... qu’il n’a pas peur de se salir les mains…
Serais-je jaloux ?
Sans pouvoir la refréner, ma curiosité tombe plusieurs fois sur Gabriel. Sa manière de marcher, de se comporter, de respirer… Comme si il était seul au monde. Comment faisait-il ? Et dans les minute qui suivirent, je sentis du dérangement mêlé à l’odeur de tabac qui lui colle au cou. Du dérangement, de la colère, de l’agacement et un peu… de peur ?
Mon intervention, pour alléger l’ambiance une fois sur la place du mort, se noie dans les préoccupations de Gabriel.
– Écoute, ça ne me fait pas plaisir à moi non-plus mais au moin-…
– Je n'ai pas beaucoup de temps pour des explications, mais j'avais prévu de faire un détour par le district 12…
Je ravale mes paroles, et laisse Gabriel se frayer un chemin jusqu’à ses confessions. Un alien, le District 12, un mort, un cadavre ambulant… Qu’as-tu fait, Gabriel ?
Notre grosse voiture quitte le Centre et s’engage sur un bouchon en direction de l’autoroute vomissant une traînée de véhicules dans le District 12. D’ici-là, la lune danse sur Cosmopolis.
Je regarde par la fenêtre, mes épaules repliées à cause de mon gabarit.
– Notre mission, c’est Dortamm.
À cet instant, il doit me maudire. Se dire que je fais chier. Il n’a pas tort.
– J’ai… Entendu des histoires sur toi. Des rumeurs. Sur Lee aussi et on fait vite le rapprochement, en tant qu’agent. Toute cette polémique qui a fuitée, autour du M.I.B, vous y êtes pour quelque chose ?
Le feu passe au vert. Nous nous éloignons de Dortamm. Mes mots sont-ils si vides au bout du compte ? Ses doigts serrés sur le volant s’agitent à prendre les virages les plus efficaces. M’a-t-il même entendu si il ne m’a pas écouté ? Dans la boucle qui jette sur les quartiers sales du District 12, je glisse ma main sous le siège du co-pilote : le bouton de refroidissement moteur, il coupe la bagnole et la gare automatiquement sur la bande d’arrêt d’urgence en cas d’imprévus ou d’accidents. Je redoute son courroux. J’espère qu’il redoute mes reproches. La voiture se stoppe.
– La fin de beaucoup de choses, lesquelles ? Tu sais au moins de quoi tu parles et dans quoi tu m’entraînes ? Un silence. Je hausse le ton. Je ne veux pas qu’il me traîne dans sa merde, c’est purement égoïste. Qu’as-tu fait, Gabriel ?
La soirée n’est pas terminée, elle vient de commencer.