mon cœur a poussé à l'envers

lola ne s'appelait peut-être pas réellement lola, lorsqu'elle est arrivée sur terre il y a dix-huit ans de cela. elle n'avait peut-être pas vingt-deux ans en épousant john à la mairie de cosmopolis, et n'y est peut-être pas même née un joli jour de mars. madame oui - mais lola a deux cent quarante-trois ans. c'est une krärn et une terrible menteuse.

madame est l'irréel photographique que l'on couche sur pellicule, que l'on admire puis que l'on oublie - elle n'accroche pas le regard. on a toujours vu femme plus jolie, bien qu'elle soit jolie, aimable, bien qu'elle soit aimable, docile, bien qu'elle soit docile - elle a toutes les qualités qui n'ont rien d'exceptionnel mais que l'on sait apprécier, à laquelle on offre un sourire ou un baiser dans l'obscurité qui confond les visages. elle ne se veut pas mémorable, madame, elle veut qu'on se trompe de nom et qu'on s'excuse poliment, car ça voudra dire qu'elle aura réussi - à n'être qu'une énième dame décapitée dans vos mémoires.

on lui a appris à ne rien faire entièrement et à blanchir toutes ses colères, pour étouffer le caractère du sang sous le label - alors madame sourit avec retenue, elle s'agace avec retenue, réfléchit avec retenue et aime avec retenue ; c'est un plan de vie appris mot-à-mot (monsieur, madame, mademoiselle) et travaillé avec la précision des choses parfaites, qui conforte par son accord tacite de ne jamais être soi-même. de toute manière, madame n'est pas un soi - elle est tout ce que l'humanité a d'infaillible et d'exécrable dans sa manière d'étouffer. mais au moins elle est humaine ! elle est terriblement humaine ! c'est le désespoir qui fait naître tant de madames, lola ne voit pas pourquoi on voudrait être ainsi autrement.

lola - lola qui se veut faible et dolente comme une femme, comme l'idée d'une femme, comme les idoles limpides car baignées de larmes claires - comme tout ce que n'est pas une femme. et dans la lumière des jolis jours, elle veut pleurer comme une dame, avec futilité et sans réelle tristesse, puis rire la seconde d'après, avec futilité et sans réel bonheur ; lola est déconcertante dans son inconsistance de matière, il n'y a de concret que l'amour, que le désir d'être humaine ou d'être avec lui. sans ça - ah, sans ça ! il faudra tendre l'oreille pour percevoir le son formidable d'un cœur qui éclate.

une lâche x une traître x une menteuse x acharnée lorsqu'elle veut quelque chose x observatrice x elle n'est pas bête mais on a clairement vu plus rusée x la frontière entre madame et lola est de plus en plus floue pour elle x ne se rend certainement pas compte d'à quel point c'est dangereux x se dit qu'elle devient simplement humaine x elle voudrait juste être humaine x refoule pleins de choses x comme son tempérament nerveux et ses colères intempestives x compense ça par une douceur souvent exagérée, mais sincère x cède très facilement par amour x peur panique de la solitude x s'intéresse à la culture humaine x les seuls à connaître ses origines sont son mari et sa fille x n'admet pas à quel point leur situation est bancale x ils sont humains après tout x elle pleure si souvent ! x va au salon pour se faire sa couleur x tactile x dort mal x sans gêne car a conscience qu'on ne lui refuserait pas grand chose x beaucoup de ses décisions sont prises par facilité x lola n'a aucun courage