AVENTURIER DE L'INCONNU, AVANT TU RIAIS DE L'INCONNU.

J'observe ces hommes en costume, noyés dans cette masse informe. Cette femme au visage dur qui passe en force, elle pense fort à sa carrière, fonce malgré le harcèlement des hommes. Mais la seule chose qui la pousse quelque part, c'est le manque.

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Raphaëlle. C'est une main de fer attaquée par la rouille dans un gant de velours brodé. C'est la façade d'un cache-misère. Un étrange mélange de violence et de douceur. C’est ce bibelot sur le rebord d’une étagère, que l’on regarde avec une certaine angoisse. Où l’on se dit « tiens, il en faudrait peu pour qu’il se brise ».

Raphaëlle n’aime pas la ville. Elle est perdue, ce n’est pas son élément. Alors, parfois, elle jettera un regard par-dessus son épaule pour voir si vous êtes toujours là, parce qu’elle a besoin d’une boussole, d’une bouée parmi les foules humaines qui semblent l’avaler. Parce que Raphaëlle, de face, elle a ce regard autoritaire, encadré par des sourcils caustiques. Mais de dos, c’est différent. On voit ses épaules frêles, parfois sa nuque maigre. Et l’on se demande comment cette carrure peut inspirer de l’angoisse.

Dans sa bienveillance, sa douceur, son envie de vous élever, de vous pousser à toujours faire mieux. Elle en serait presque touchante, lorsqu’on sent que les émotions sont comme un mixeur pour son cœur. Que lorsqu’elle pleure, qu’elle contorsionne ses lèvres pour retenir les larmes, le regard dur, on aimerait lui donner un coup entre les omoplates, pour qu’elle relâche.

Que son visage vous chante qu’elle va prendre soin de vous, à sa manière. Qu’elle est le jus d’un fruit acide dans une plaie logée dans le plie des lèvres. Elle est dérangeante, elle vous démange, dans sa manière de vous faire la nique.

T’entends encore l’accent français couper au couteau la moitié des mots, les hacher dans son charabia charmant. Son visage doux aux traits fatigués, d’avoir passé des nuits à danser, se tortiller, pour espérer voir voler quelques dollars de la part de ces salopards. Ta mère, cette vingtenaire qui à l’époque, s’était donnée toute entière pour faire de toi une petite écolière modèle.
Si tu te devais de raconter toi-même cette drôle d’histoire, tu serais la dernière à vouloir dramatiser. C’était pas Versailles, mais vous viviez bien à deux. Elle faisait que danser, n’avait jamais donné son corps en solution finale. Et toi Raphaëlle, t’as enchaînée les carrières avortées. Gamine, on t’as imaginé danseuse. Alors on t’as payé des cours, l’on t’as fais trimer. À ta majorité, l’on s’était dit que ton avenir était tracé.
Mais toi, lors des pauses, la nuque humide et le front perlant, tu regardais les autres filles du coin de l’œil, cigarette se consumant aux bouts des doigts. T’étais mauvaise, t’étais de celles qui écrasait sans culpabilité aucune, qui n’hésitait pas à piétiner les rêves des autres pour t’en sortir. T’avais si peur qu’on t’enlève le peu que tu possédais que t’étais l’avorteuse à gueule d’ange. Celle qui étouffait à deux mains, tordait le cou aux espoirs des plus faibles.
T’as finis par arrêter la danse, t’étais une petite malédiction doucereuse.
Alors t’as enchaîné les boulots ingrats.
Ceux qui ont sonnés comme un retour de bâton.
T’as été le paillasson de nombreux clients. Qu’importe le domaine, ton statut, tu t’es fais insultée, tu t’es pris des dossiers en plein visage. Tu revois les feuilles voler autour de toi, le ton monter et ton sourire se crisper en une malformation mortifiée. Tu te demandais parfois si c’était ta prétention ou bien ton ambition passée que tu finissais par payer.
Couronne de cheveux tressés, uniforme froissé, tu te demandais combien de temps tout ça allait durer. Ta patience n’est pas légendaire.
C’est ta chaise de bureau qui a finit par voler et la porte derrière toi qui a été claquée qui signa l’arrêt. Parce que la rage te faisais trembler, parfois larmoyer.
Et c’est dans ces moments-là que l’on devient mystique, que l’on trouve des signes dans les choses futiles. Avachie sur ton canapé, une émission passait sur le MiB. Tu l’as regardé avec distance, lime entre les mains. Ce genre de moments où l’on se dit « Moi aussi j’pourrais le faire. » et qu’après un silence, l’on se répond à soi-même « Et pourquoi pas? ».
Raphaëlle, c’est pas l’élite. Ce n’est pas l’évidence non plus. C’est ce quart de siècle entamé qui aimerait voir sa vie changer et qui, sur un parie, un coup de tête, a rassemblé tout son culot.
Reprendre ses études, travailler, carburer à la hargne. T’es pas le profil modèle, mais t’as les apparences. Alors, lorsqu’on regarde aujourd’hui ton uniforme net, tes cheveux épinglés, l’on se dit que t’as grandi dans la facilité. Que c’est encore l’une de ses gamines pourries gâtées.
Mais toi t’es pire que ça Raphaëlle, t’es l’une de ces pestes, ces mauvaises herbes qui sont trop fières pour disparaître.
Qui s’accroche et s’écorche.