baby you don't mind －

une bonne pomme bien placide ▵ une bonne pomme d'1m96 cela dit, à l'air peu aimable ▵ mais il ne faut pas s'y fier, c'est un ange ▵ trop, d'ailleurs, il se laisse bien facilement faire ▵ bien facilement marcher sur les pieds ▵ et bien facilement insulter ▵ parfois il hochera de la tête et exprimera sa désapprobation ▵ mais de façon générale, il préfère ne pas intervenir ▵ il fait une entorse à cette règle pour Eurêka, cependant, car c'est important d'aider les gens dans le besoin ▵ mais vraiment, il préfère ne pas être dérangé ▵ il vit assez simplement ▵ son téléphone fait dring dring ▵ son réveil fait bip bip ▵ il pleure au cinéma et n'a jamais écrasé de moustique ▵ il a un véritable petit jardin chez lui ▵ et trois chats ▵ et un grand aquarium ▵ c'est sa seule passion semble-t-il ▵ il serait invisible s'il ne dépassait pas de la foule.

Honnêtement, il n'y a pas grand chose à raconter -
Ils étaient quatre enfants issus d'un mariage à moitié stellaire, et voilà tout.
Son père est un homme rondelet aux verres épais et au sourire facile, petit, minuscule même, à l'échelle de ses quatre petits géants, et d'une femme toujours plus proche des étoiles.
Son prénom, quoiqu'un peu ridicule selon les avis extérieurs, a été choisi soigneusement, en hommage déformé à un rêve - Ulysse qui a traversé la mer ! Olysseus était premier né et fort attendu, mais personne n'a vraiment eu la patience de jamais utiliser ce prénom en entier.
Alors Oly était un enfant titanesque à la mine fermée, qui trouvait le contact des autres difficiles. Puisque les petits plus humains étaient effrayés de sa gigantesque compagnie : il a appris à jouer plutôt avec les chiens des voisins, et avec les fleurs du jardin. Bien sûr, il est question de tempérament, car ni ses frères ni sa soeur n'ont ensuite eu la patience de se taire à sa façon.
Honnêtement, honnêtement, il n'y a pas grand chose à raconter --
Son père a toujours tenu un petit café cosmopolite, et sa mère a toujours été affairée à soigner les animaux du quartier. Ses frères et soeur se sont toujours accroché à son dos pour être portés au lit. Les choses ont toujours été doucement chez les Rogers.
Donc, à qui s'aventure à poser la question, Oly hoche de la tête et répond de son ton monocorde : honnêtement, il n'y a pas grand chose à raconter. Il ne sait pas vraiment à quels instants particuliers de l'enfance il faut se raccrocher.

Pourtant, c'est un mensonge poli, car il a fallu abonder de paroles à la visite des agents du M.I.B. venus poser des questions sur la disparition de sa mère. Il y avait à peine quelques jours que les Rogers s'étaient réveillés orphelins de l'univers.
Son père était venu réveiller Oly avant les autres sous un soleil printanier, et il lui avait dit : ta mère est partie. Ca l'a beaucoup embarrassé naturellement, car il n'est pas dans la nature de monsieur Rogers de poser ce genre de poids sur les épaules de son aîné (lui sait bien qu'elles ne peuvent pas tout porter), mais il se trouve que la seule personne vers qui il pouvait se tourner avait soudain disparu.
Oly ne sait pas où elle est allée.
Personne ne sait où elle est allée.
C'est-à-dire que ces messieurs-dames du M.I.B. au terme de leur enquête stérile ont parlé de 426, et ont en cela jeté des regards bien peinés à quatre rejetons déshonorés par procuration dans l'absence suspecte de leur mère, et dans le sillage obscur de ses récentes fréquentations. Tout à coup, être un Rogers devenait une terrible erreur de l'histoire.
Mais malgré tout : ils en restaient, justement, des Rogers. Des Rogers par le sang et par le patronyme, et surtout par leur réputée bonté d'âme. Il n'en restait plus que cinq, mais qui ont tacitement décidé que cinq serait amplement suffisant, et qu'ils ne doivent leur stature qu'aux étoiles ! Que les Rogers sont une constellation aveugle qui n'a jamais connu ni mère ni épouse. Et donc aux questions, Oly fait taire la clameur du doute et répond : honnêtement, il n'y a pas grand chose à raconter.