MUSIQUE Cecilia ne manque pas d’air et toi, tu ne manqueras pas de le lui souffler avec colère. Sans un mot - enfin si tant est qu’une inscription sur un paquet de cigarettes vide déposé devant ta porte compte - elle t’a délégué l’odieuse, la scandaleuse, l’ignoble charge de t’occuper de ton filleul de cinq ans, Platon, pour la journée. Tu pouffes - de manière tout à fait élégante cela va de soi - qui appelle son fils Platon ? C’est d’un manque de chic total… Quoique ? Tu réfléchis. C’est un bel hommage au défunt et illustre philosophe… C’est original, cela ne peut que marquer l’esprit… Mh, à méditer.
Te voilà donc, en conclusion à cette brève introduction, en plein désarroi face au garçonnet, lui-même faisant face à Adolf - Dieu merci cette chère bonne âme était levée lorsque Cecila vint déposer le turbulent paquet en plus du petit mot - non mais quelle insouciante celle-ci ! Et si Adolf n’avait pas été là ? Le môme aurait-il attendu sagement sur le paillasson ? Quelle insouciante ! Je disais ? Oui, heureusement Adolf l’avait récupéré et s’en était occupé jusqu’à ton réveil, soit jusqu’à il y’a vingt minutes.
Est-ce normal qu’il gigote autant ?C’est un enfant Monsieur, c’est tout à fait normal.Et quelle est cette curieuse chose qu’il porte à son coup ? Un médaillon ?Non, c’est sa tétine Monsieur.Et cette autre chose pendouillant de sa poche de veston ? … C’est… C’est du papier toilette ?!Non, c’est son doudou Monsieur.Grossière chose qu’un enfant…
Pourquoi t’es pas moche aujourd’hui ?Non, tu ne l’étriperas pas.Plait-il ?Avec les rides et tout ! C’est plus rigolo !Non, tu ne l’empaleras pas sur un pieu.Je ne suis pas au travail, je n’ai donc pas à changer mon apparence.Tu resembles à une fille ! Non, tu n’iras pas l’offrir à des requins comme souper.Veux-tu te taire !Grossière, grossière, trèèèèès grossière chose qu’un enfant…
Tu soupires, t’affales dans le divan et détournes ton regard du bambin qui, sans gêne ni retenue, met la pagaille dans ton coffre à statuettes africaines. Doit-il imaginer que ces trésors rapportés de tes voyages ne sont que jouets ! Ne regarde pas George, inspires, expires, ça va aller…
Madame votre soeur m’a remis des billets pour une fête foraine. Platon désirait y aller depuis quelques jours mais elle n’a, je cite, “pas le temps avec tous ces beaux italiens à divertir”.Comme si organiser un bal costumé pour recevoir une famille de nobles italiens, manger de goutteux mets cuisiné par un grand chef français et causer art valait mieux qu’une journée avec son fils… Franchement ! Franchement… Franchement…. Ok, non, tu aurais sans doute - indigne personnage que tu es - sacrifié le morveux également.
Bien, je suppose que s’il s’épuise sur des manèges, il me laissera tranquille ce soir (et cessera de prendre mes statuettes africaines pour de vulgaires peluches). Suite à quoi tu te lèves, saisis les billets de la main d’Adolf et t’apprêtes à prendre ton manteau lorsque le vieillard t’arrête. J’ai pris la peine de réveiller Zep afin qu’il vous accompagne.
Pardon ? Ah, oui, Zep dort encore dans sa chambre. Mh.
Depuis l’incident de la boîte de nuit, tu évites le plus possible de te retrouver seul en compagnie du susnommé - toujours est-il que TU es celui qui a savamment insisté pour qu’il vienne le plus souvent dormir chez toi, vivre chez toi, manger avec toi… Mh.
Cela dit, qu’il t’accompagne dans cette périlleuse aventure - elle l’est, elle l’est forcément, un gamin n’amène jamais rien de rassurant - peut s’avérer salutaire. OUI ! BIEN SÛR ! Tandis qu’ils joueront - après tout, ils ont sensiblement le même âge mental - tu pourras te prélasser sur un banc. Voilà. Parfait.
Parfait.45 min plus tardSI TU N’ARRÊTES PAS DE FAIRE CES BRUITS DÉGOUTANTS, JE TE JETTE PAR LA FENÊTRE !Zep à gauche, Platon au centre, toi à droite et Adolf au volant. Platon qui mime des pets avec son coude, Adolf qui semble immunisé à tout contexte extérieur à sa conduite et toi qui supplie Zep de t’aider.
Lorsqu’enfin la voiture se gare, tu es le premier à sortir - à bondir même.
Fiou, c’t’estafette !Hein ?
Tu regardes autour de toi. Tu regardes en face de toi. Tu écoutes les cris hilares des adolescents et les rouages des engins diaboliques et lumineux. Tu écoutes les échos des musiques industrielles remixées. Tu regardes derrière toi. Tu regardes à nouveau en face de toi - ce sont qui
eux ? Ce sont des tâches sur leurs t-shirts ? Ce sont des blousons en cuir qu’ils portent ? Pourquoi y'a t-il autant de chiens ? Ce sont des bâtards ? Aucun pedigree ?
Mais…
Ce n’est pas un parc d’attraction. C’est… C’est un camp de gitans !
Johnny, r’mène les gars, v’nez j’ter un oeil à c’te benz !Voilà qu’il s’attroupent autour de la voiture - et voilà que toi, peu sûr d’avoir tout à fait digéré les informations, tu t’y engouffres et claques la portière en couinant.
… Fête foraine. Oui, c’est vrai, vous avez eu des billets pour une fête foraine… Et les fêtes foraines sont tenues par… Par qui George ? Des forains… DES GITANS !