Ce matin, en me levant, j'ai eu une sensation bizarre. Je m'suis levé un peu trop vite, puis j'ai vu des étoiles, donc j'me suis rassis. Un goût de ferraille dans les gencives. Trop étrange. J'ai fixé mes orteils un moment, le temps de retrouver un peu l'équilibre. J'avais encore mes fringues de la veille. Mais j'trouvais pas la force de me lever.
Et là, mon oreille a commencé à siffler. Mon corps déraillait complètement. Et ça commençait à franchement me saouler. Tant pis pour les strass dans le champ de vision, j'me suis planté sur mes deux pieds d'un coup sec, et j'suis sorti de ma chambre. Bon, j'faisais pas trop le fier, parce que j'avais encore la tête qui tournait. Mais au moins, j'avais réussi à me lever. Enfin, j'me suis quand même rapidement appuyé contre un des murs de la baraque, puis j'ai vu ma mère me passer devant.
La vieille était sur le départ, sac à main de contrefaçon sous le bras, perchée sur ses talons hauts. J'lui ai marmonné que je me sentais pas super bien, genre faible et fiévreux quoi. Elle a roulé des yeux et des hanches en s'avançant vers la porte d'entrée.
Ah ouais, ok. Parle à mon cul quoi.
Alors moi, forcément, j'ai insisté, j'lui ai dit que j'avais des vertiges et tout. Elle a ouvert la porte et, sans même se retourner, m'a balancé :
« C'est drôle, j'avais exactement les mêmes symptômes quand je suis tombée enceinte. Renseigne-toi, t'attends peut-être un heureux événement. »La phrase a même pas eu le temps de m'arriver au cerveau qu'elle avait déjà quitté la pièce. Et j'me suis retrouvé tout seul, comme un con.
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Donc ça, à en juger à notre horloge toute déglinguée, c'était il y a environ deux heures. Alors... Ça fait approximativement une heure et demie que je suis affalé dans le canapé, à fixer un écran de télévision éteint. J'ai plus de vertiges, j'ai plus de sifflements, ni même de goût chelou dans la bouche. Par contre, j'ai un pressentiment bizarre.
Alors je réfléchis... Est-ce que j'aurais oublié l'anniv' de quelqu'un ? Nan, j'crois pas.. Ou alors, j'ai peut-être rdv quelque part ? Ouais, j'avais peut-être un truc à faire que j'ai complètement zappé !
Putain, j'espère que c'est pas un truc important...
Puis, en même temps, j'ai pas le souvenir d'avoir quoi que ce soit de prévu.
… Qu'est-ce qui se passe ?
J'comprends que dalle.
Il faut super beau dehors. J'ai pas faim, j'ai pas soif, j'ai pas sommeil. Je bouillonne à l'intérieur et en même temps j'peux pas lever mon cul de ce canapé. Y'a un truc qui m'en empêche. Et BORDEL JE SAIS PAS CE QUE C'EST !
Toc toc toc.Je tourne ma tête tellement fort que j'entends mon cou craquer. Douleur, grimace et couinement. Je plaque ma main sur ma nuque et prends appui sur l'accoudoir du canap' pour me mettre debout.
Mutt, vieux croûton à 18 ans. Quelle vie.
La main sur la poignée, je m'étire doucement le cou. Mes os crépitent comme du papier bulle, mais la douleur se tasse. J'inspire longuement, je bombe le torse (histoire de retrouver un semblant de dignité), et j'ouvre la porte.
J'dois baisser un peu les yeux pour observer le marmot. Lui non plus, il a pas l'air au top. Tout pâle, mais les joues couleur sang. Tremblant comme une feuille. Des larmes dans les yeux. J'me dis qu'il doit être perdu, qu'il cherche quelqu'un. J'l'ai jamais vu dans le quartier. Mais j'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'il se met à me parler. Et lorsqu'il me sort mon prénom - le vrai -, et mon nom de famille, j'ai une impression de chaleur désagréable derrière les genoux.
Personne m'appelle comme ça.
J'suis même pas sûr que les gens du district connaissent mon vrai nom.
On a pas mis ces infos sur notre porte ou sur notre boite aux lettres. D'ailleurs, on a même pas de boite aux lettres.
J'ai jamais été à l'école.
J'suis même pas sûr que ma pièce d'identité soit encore valable.
Même les flics ont fini par m'appeler Mutt. Au moins, tout le monde sait de qui on parle.
J'réponds rien. Je regarde rapidement les alentours, puis j'me mets à le fixer longuement. Et je dois avouer que j'comprends pas grand chose. J'suis super méfiant, mais en même temps... Je veux savoir. J'ai l'droit d'savoir.
Qu'est-ce qu'il me veut ?
« Je sais pas qui c'est Davide. » J'lui sors ça en me redressant, comme si j'essayais d'être encore plus grand que lui. J'veux être imposant, j'veux avoir l'air fort. S'il croit qu'il peut m'impressionner en me sortant un nom et un prénom. C'est bon wsh, j'suis pas agent secret non plus. C'est pas non plus un secret défense. Désolé petit, mais si tu pensais m'impressionner, c'est raté.
….
Putain mais Mutt.
Regarde-le.
Il est pétrifié.
Bon... J'arrête de faire le coq. J'm'adoucis un peu. À dire vrai, j'sais pas trop comment m'y prendre avec les gosses. Surtout ceux qui arrivent et qui balancent mon identité dans le plus grand des calmes sur le perron de ma propre baraque.
Bref.
J'essaye d'être plus cool.
« Eh... Arrête de pleurer hein. J'vais pas te bouffer. »Un temps.
« Tu... »Encore un temps.
« Enfin... »Allez dude. T'es une grande gueule d'habitude. EXPRIME TOI.
« J'peux t'aider ? »Woah.
C'était chaud.